Carnet de jour – Adolphe Gautron – (1944)


Libération de Brest et abri Sadi Carnot.

Carnet de jour- Adolphe Gautron- Caporal pompier.

La défense Passive

Nous étions là, on a fait ce que l’on a pu. Éteindre les incendies toujours dans des moments difficiles. Tirer les gens de dessous les décombres pour les diriger vers les hôpitaux ou les abris de la ville. Pour certains ce fut la catastrophe. Dans l’abri Sadi Carnot nous avons mis une journée à éteindre tous ces corps en flamme.Un moment je suis tombé sans connaissance, la chaleur, le manque d’air, l’épuisement. Les collègues ont du me chercher parmi tous les corps calcinés. C’était l’horreur, l’enfer, un vrai cauchemar. Il ne faut pas oublier que pendant la période entre 1939 et 1945 nous avons eu à Brest et son agglomération 63 tués dans la défense passive. Une pensée pour eux un grand salut aux anciens de la défense passive. Tristes souvenirs.

Samedi 12 août 1944 :

Nous sommes à l’abri Mourrile depuis le 8, jusqu’ici tout a été calme, et les journées se sont passées à attendre le grand coup.

L’après-midi nous sommes prévenus d’aller éteindre un incendie rampe du Merle Blanc, nous sommes très gênés, il faut aller pomper l’eau au bassin du gaz. Au feu j’assiste à un bombardement allier et par l’artillerie, nous luttons 2h00 puis nous rentrons à l’abri.

Dimanche 13 août 1944 :

Il est environ 3h00 du matin. Dehors le bombardement par l’artillerie fait rage, les obus tombent partout en ville, de grands feux sont allumés en ville. Je fais partie du premier départ, nous partons éteindre un foyer ( un quartier) , rue Louis Pasteur, toute la matinée se passe au feu, nous sommes alertés par la DP. Le début de l’après-midi se passe à noyer les décombres.

Chez Chupin je suis pris sous un éboulement. En fin d’après-midi je vais voir Simone et Yvette à l’abri du Forestou puis je reviens à l’abri, l’on parle beaucoup de l’évacuation.

Lundi 14 août 1944 :

L’ordre d’évacuation est donné, les civils quittent la ville. Avec nous plusieurs pompiers quittent la compagnie pour partir avec leur famille. L’effectif se monte seulement à 18 hommes, les chefs compris. Deux départs sont organisés pour combattre les incendies qui ne sont pas éteints.

Le manque d’eau nous gêne considérablement , nous travaillons en relais avec la marine, qui pompe de l’eau à l’arsenal, et que nous déversons en ville.

Le soir nous sommes à peu près les seuls civils. Nous apprenons que les Allemands vont réquisitionner l’abri où nous sommes. Nous ne savons pas où passer la nuit, les pompiers de la marine nous invitent à aller nous abriter dans leur tunnel, le soir nous rentrons à l’arsenal avec tout notre matériel.

Il est neuf heures, le feu se déclare rue Richet. En un instant tout le quartier est en feu, nous sommes appelés par les Allemands, je pars avec la Leyland, la marine compose un deuxième départ pour nous aider, nous pompons à la Penfeld, nous luttons jusqu’à trois heures le matin, au cours de cet incendie un marin pour rien a été tué.

Mardi 15 août 1944 :

Je suis très fatigué de la veille, j’ai des maux de ventre. A Recouvrance les incendies continuent, un départ est composé par les pompiers de la ville et ceux de la marine, ils rentrent quelques temps après, ils ne peuvent tout combattre ,le soir le ciel est tout rouge par les feux qui continuent.

Mercredi 16 août 1944 :

Ce matin, ça ne va pas avec mes maux de ventre, je me fais soigner à l’infirmerie, à l’appel, je suis désigné pour faire quelques petites corvées, je reste toute la journée à la caserne, je m’ habitue au régime militaire.

Jeudi 17 août 1944 :

A l’appel, je suis désigné pour partir avec le premier départ. A 10h00 nous partons à recouvrance qui flambe toujours, nous partons à la Penfeld, nous sommes gênés par les décharges électriques, à 2h00 nous sommes relevés par le deuxième départ, je suis trempé, aussi le restant de l’après-midi, je reste couché. Le soir se passe normalement.

Mercredi 18 août 1944 :

Le matin se passe à la caserne, aucun départ n’est sorti, le matériel est très abîmé et pour ainsi dire tout éparpillé. L’après-midi, je suis désigné pour aller donner à boire aux bêtes qui se trouvent à l’abattoir. Je profite pour passer à la maison prendre du linge et mon rasoir. Le soir, la soirée se passe normalement.

Samedi 19 août 1944 :

Desroches et moi nous sommes désignés pour retourner à l’abattoir pour toute la journée, le travail n’est pas très difficile, et est rapidement fait, aussi nous profitons pour nous promener un peu sous les obus qui passent de temps en temps au dessus de notre tête, je passe à la maison tout est normal, puis chez Yvette, nous disons bonjour aux gens de l’abri du Forestou, puis nous montons chez Desroches. Le soir vers 18h00, nous rentrons pour la soupe. La soirée se passe normalement.

Dimanche 20 août 1944 :

Le matin, je vais à la messe de 8h00, elle est faite par l’aumônier des pompiers, puis comme je n’ai aucun travail à faire, je nettoie mon linge, je suis prévenu qu’une dame veut me voir, elle se trouve dans le tunnel sous l’hôpital. J’y vais . C’est la belle mère de René qui me demande où est parti René et sa fille, comme je ne sais rien, elle est très ennuyée. L’après-midi plusieurs camarades et moi nous nous promenons dans l’arsenal, ça me rappelle le temps ou je me promenais avec ma famille.J’ai un peu de cafard en cette belle journée de dimanche.

Lundi 21 août 1944 :

Nous ne combattons plus les incendies qui fument toujours, je suis désigné pour faire quelques petites corvées, nous nettoyons le matériel, la journée se passe normalement.

Mardi 22 août 1944 :

Journée toujours calme. Malgré tout le poste Bruat est complètement évacué sur l’ordre du Lieutenant Carquin. Je porte chez Desroches mon argent et deux costumes qui se trouvent dans le bureau de Madame Méart. Le calme est complet, le soir nous jouons au football.

Mercredi 23 août 1944 :

Je reste toute la journée à la caserne, le calme dure toujours, je fais quelques petits travaux, le soir nous organisons une partie de football, marine contre la ville. Nous battons la marine 10 à 7. Nous sommes bien heureux d’avoir gagné.

Jeudi 24 août 1944 :

Ce matin une messe a été célébrée à la mémoire du marin pompier tué au cours de l’incendie du 14 août, j’y suis allé.

J’ai très mal aux jambes, restant du match de la veille. Le matin, je fais des corvées ordinaires, comme tout est calme, l’après-midi je vais jusqu’à la maison avec Monsieur Méart, tout est normal, puis chez lui à Saint-Marc, l’on se méfie beaucoup. Depuis quelques temps l’artillerie tire, l’on entend parfois les obus sifflaient, puis nous passons à Bruat qui est complètement vide. En descendant à l’arsenal l’on s’aperçoit que le port de commerce flambe, nous rentrons assez vite, nous avons ordre de ne pas sortir, aussi tout est pour le mieux, je vais me coucher de bonne heure.

Vendredi 25 août 1944 :

Est-ce-que le grand coup serait déclenché ? Dans la nuit du jeudi au vendredi volent tirs d’artillerie et pilonnage par l’aviation, le matin nous ne pouvons sortir de l’abri, ça siffle au dessus de nos têtes, plusieurs incendies sont allumés ( tout le bas de la ville, rue Louis Pasteur, l’arsenal, rue de Siam ). L’on a l’impression que tout brûle autour de nous, nous combattons tout le feu pour préserver la caserne et le matériel des marins pompiers, au dessus de nous l’on entend les obus qui sifflent et l’aviation qui bombarde , nous cessons de combattre le feu vers onze heures le soir, après un casse croûte nous allons nous coucher, la nuit est très agitée, l’on entend les explosions au dehors.

Samedi 26 août 1944 :

Autour de nous, il n’y a que de la fumée épaisse, il est huit heures et l’on voit à peine, d’ailleurs tout est démoli à côté de l’abri, la cuisine, la cambuse, l’habillement et deux voitures de pompiers sont en miettes, la matinée se passe à rentrer le matériel , voitures, motos pompes dans les abris, puis l’on enlève de la cambuse le restant de conserves qui n’a pas trop souffert pour les rentrer dans le tunnel. Le bas de la ville continue à brûler en prenant de grandes précautions, nous n’avons toujours pas ordre de faire quoi que soit, vers deux heures, le bombardement reprend de plus belle, le vent pousse le feu vers la centrale des pompiers qui se trouve sérieusement menacée, l’on forme une équipe pour arrêter le feu, dehors c’est presque un enfer, l’aviation attaque les batteries, l’on voit les bombes tomber des appareils qui volent très bas, les obus tombent pas loin de nous, les mitrailleuses crépitent, c’est très dangereux. Le commandant donne l’ordre de rentrer et de tout laisser, je profite pour me nettoyer un peu et me reposer. La soirée se passe dans l’abri, nous ne pouvons plus sortir.

Dimanche 27 août 1944 :

C’est très dangereux de sortir du tunnel, malgré tout, je mets mon nez dehors pour respirer un peu, l’artillerie donne toujours, l’on entend les obus passer au dessus de nous, tout le monde commence à s’habituer , nous assistons au spectacle du bombardement en piqué. L’on voit les bombes se détacher des appareils, en ville il doit y avoir de gros dégâts. Dix heures je me couche ( l’après-midi chez Lebris, nous voyons la digue Est sauter), dans la nuit l’on entend de fortes explosions, les quais ayant été minés dans la journée, l’on s’attend qu’ils sautent dans la nuit.

Mardi 29 août 1944 :

La nuit a été assez calme, rien n’a sauté, le matin les Allemands nous interdissent la sortie dans l’arsenal. A l’appel du matin, je suis désigné pour pomper l’eau dans plusieurs réservoirs ce travail me prendra toute la journée. A midi, les camarades partent au feu à la Banque de France.Toute la journée l’artillerie a tiré, le soir la tour de Recouvrance brûle, nous ne sortons pas, aussi je me couche à dix heures.

Mercredi 30 Août :

Les tirs d’artillerie n’ont pas cessé de toute la nuit, la matinée pourtant a été assez calme. Il est une heure, nous partons au feu rue Jean Macé, tout le quartier brûle, de mon ancien atelier il ne reste que des décombres fumantes que nous arrosons jusqu’à cinq heures . Puis nous rentrons pour la soupe, il est sept heures , l’on vient nous prévenir que les magasins Miercelet sont en flammes, sur les lieux nous ne pouvons rien faire , par manque d’eau cependant un relais est fait au bout de deux heures nous faisons la part du feu, puis nous rentrons à l’arsenal. L’artillerie à ce moment donne bien, les obus ne tombent pas très loin de nous en rentrant nous mangeons un casse croûte , je vais me coucher vers onze heures.

Jeudi 31 août 1944 :

La journée a été très dure dans l’ensemble. Dans la matinée nous avons combattu deux grands incendies( rue Duret et rue Jules Guesde), le travail était difficile, l’artillerie et l’aviation attaquant avecviolence. A midi, deux autres départs sont formés pour combattre le feu rue du Château et un autre rue Jean Jaurès, le soir vers cinq heures, je retourne avec le premier départ place de la Tour d’ Auvergne où un commencement d’incendie est déclaré, vers six heures je vais faire un tour à la maison un obus est tombé un peu plus haut que chez nous. Jo Autrou a tout son appartement démoli, je rentre tard, pour la soupe, la soirée se passe au tunnel, dehors l’on entend les tirs d’artillerie qui continuent.

Vendredi 1 septembre 1944 :

Le matin à l’appel, je suis désigné pour pomper de l’eau dans les réservoirs, aussi la journée s’annonce bien tranquille pour moi.Toute la nuit les tirs d’artillerie n’ont pas cessé. Vers dix heures plusieurs vagues de bombardement survolent la ville, en quelques minutes plusieurs centaines de bombes sont déversées sur la ville, l’on nous prévient que Saint Martin flambe, Les rue Bruat et Navarin ont été atteintes, une équipe part pour combattre les incendies, ils ne peuvent rien, toujours manque d’eau, ils reviennent quelques instants après. L’après-midi est dans l’ensemble tranquille malgré les tirs qui ne cessent pas, vers cinq heures le feu est signalé rue Ducouedic , le soir une autre équipe est appelée rue du Château, vers dix heures ils sont de retour, moi je me couche vers dix heures.

Samedi 2 septembre 1944 :

Tirs d’artillerie toute la nuit, la matinée est tranquille, vers onze heures l’on nous prévient qu’il y a le feu rue d’Aiguillon et rue du château, Je pars immédiatement en pensant que l’atelier doit être menacé, en effet la maison du 32 est déjà en flammes, Paulo et moi nous nous retirons de l’équipe, je mets les outils et du matériel dans la cave, puis je vais aider les camarades, le feu est dans la banque en face, plusieurs millions risquent de flamber. Nous retournons à la soupe vers deux heures, le feu est signalé rue Algésiras , rue Duquesne, rue de la Mairie et rue Kéravel, nous n’y pouvons plus rien, une équipe est formée et nous allons sauver les meubles chez le Coz qui habite rue Duquesne, dans la journée volent les bombardements par l’aviation, l’arsenal est touché. Je me couche assez fatigué.

Dimanche 3 août 1944 :

Je suis désigné de garde dans l’abri Tourville ( Sadi Carnot ) dès le matin huit heures, grand bombardement par des avions au piqué à double fuselages, c’est la première fois que nous les voyons, vers huit heures et demi un fracas épouvantable près de l’abri, c’est le grand pont qui est touché et qui s’effondre, la grande grue est légèrement effleurée. L’après-midi je viens au tunnel prévenir qu’il a le feu rue Foy, rue d’ Aiguillon et Cité d’Antin, je passe la nuit à l’abri, dans le courant de la nuit bombardements intenses par l’artillerie plusieurs personnes sont blessées , le matin à huit heures je suis relevé.

Lundi 4 septembre 1944 :

Vers dix heures, je monte à saint-Martin, je passe à la maison, la Place la Liberté est entièrement défoncé, l’on croit voir un champ labouré, le bas de Saint-Martin est endommagé, chez nous tout est normal, l’après-midi je me promène en ville, c’est une journée très calme. En passant rue de la République, je m’aperçois qu’il y a un trou dans le mur du cimetière à côté de la tombe de maman, j’en profite pour aller au cimetière et aller sur la tombe. Je rentre le soir pour six heures, dans la grand rue les arcades et plusieurs maisons brûlent.

Mardi 5 septembre 1944 :

Le matin comme ça donne pas de trop, je vais avec Desroches jusqu’à chez lui, ça siffle beaucoup, le haut de la rue Jean Jaurès n’a pas trop souffert. Nous rentrons pour midi. L’après-midi, je me couche après mangé, je suis fatigué, à deux heures il faut aller au feu rue de Siam chez Lorho, nous sommes obligés de rentrer, une formidable attaque aérienne est déclenchée, elle dure jusqu’à dix heures. La ville est survolée par au moins cent appareils, le dessus de la ville n’est que fumée, je vais me coucher de bonne heure.

Mercredi 6 septembre 1944 :

Toute la nuit volent tirs d’artillerie, le matin l’on voit les bombes tomber des appareils, une bombe tombe à cinq mètres de l’abri, à dix heures, il faut aller au feu rue de Siam tout brûle , à Saint Remy, aux Dames de France et aux Elégants. Nous protégeons sous les bombardement le quartier de la DP, nous rentrons vers trois heures, en rentrant nous mangeons puis je vais faire un tour à l’abri, le bombardement n’arrête pas, le feu prend une grande extension, rue de Siam et rue Louis Pasteur, l’on voit des lueurs à Saint-Martin et à Lambé, le soir je me couche vers dix heures, la ville est toute illuminée.

Jeudi 7 septembre 1944 :

La nuit est assez calme, vers huit heures et demi , je monte à la maison voir si rien n’est arrivé, Madame Méar m’accompagne, la maison est comme soufflée, les ouvertures sont toutes grandes ouvertes. Ça flambe en gare. Nous profitons du calme pour monter chez Madame Méar . Puis nous passons au poste en descendant la rue Jean Jaurès, nous sommes attaqués par des avions mitrailleurs, nous sommes obligés de nous abriter dans les trous d’obus, nous arrivons au tunnel à bout de souffle, il est plus de midi.L’après-midi, je me repose. Puis je nettoie mon linge, le soir je vais chercher du vin rue Amiral Linois, je me couche vers onze heures, dans la nuit, je me réveille brusquement, il y a le feu dans la salle d’opérations, nous ne pouvons pas tenir avec la fumée, les masques ne font rien, il faut sortir nous restons au moins deux heures dehors, nous rentrons nous coucher vers trois heures le matin, ça ne va pas trop avec moi.

Vendredi 8 septembre 1944 :

Dans la nuit du 7 au 8 violents tirs d’artillerie, au matin nous ne pouvons sortir de l’abri dehors ce n’est que bombardement et mitraille , plusieurs maisons flambent en ville , d’ailleurs le bas de la ville devient un enfer partout il n’y a que feu et maisons démolies, la journée se passe à l’abri, à neuf heures, j’assiste au tunnel à une messe à l’occasion du Pardon du Folgoët, le restant de la journée se passe à lire, le soir je vais jusqu’à l’abri Sadi Carnot chercher de la viande pour le ravitaillement, je fais d’ailleurs un tour inutile puisqu’il n’y en avait pas. Je dis bonjour à plusieurs personnes que je connais, puis je rentre au tunnel vers dix heures, les tris n’ont pas cessé de la journée, à l’entrée de l’abri Sadi Carnot la Betfort brûle.

Samedi 9 septembre 1944 :

Nuit très bouleversée, du 8 au 9 vers deux heures et demi du matin Rolland rentre blessé de l’abri Sadi Carnot , il nous apprend qu’il y a le feu dans l’abri, et que les munitions que les allemands ont emmagasinées sautent. Deux hommes partent immédiatement se rendre compte, il reviennent trois quart d’heures après, là bas c’est effroyable disent-ils, l’abri n’est qu’un four, sur 500 personnes civils qui s’y trouvaient cinquante sont sorties, nous ne pouvons rien faire les flammes sortent de chaque extrémités de l’abri, Desroches qui est de service n’est pas rentré, il est six heures du matin . A sept heures l’on demande un homme pour faire la liaison avec l’abri. Je pars immédiatement. C’est un spectacle épouvantable qui se présente à mes yeux. Des gens arrivés au haut de l’abri sont là calcinés, l’odeur est insupportable. J’apprends que le maire et ses adjoint et le secrétaire sont des victimes. L’ingénieur Coste me dit que l’on n’y peut rien d’ici deux à trois jours. Malgré tout les Allemands combattent le feu vers Tourville. A midi ils demandent notre aide. Une équipe de volontaires dont je fais partie part vers deux heures. Le spectacle qui s’offre à mes yeux est effroyable, il fait une chaleur au moins de 55°. Nous marchons sur des monçeaux de cadavres, moi personnellement, j’ai l’impression que c’est l’enfer, je redoute que l’abri s’effondre, nous nous éclairons avec des torches, je sue tellement que j’ai l’impression de fondre. Mes mains qui sont munies de gants de caoutchouc, elles sont toutes molles et je me les sens plus. Plusieurs tombent en syncope nous sommes asphyxiés par l’acide de carbonne, moi jusqu’à cinq heures je reste à l’attaque puis je retraverse l’abri en tenant sur mon dos un marin à moitié évanoui. Nous prenons de l’air puis nous rentrons en courant à l’abri. Ça tonne tellement, les obus éclatent partout, à sept heures tous les pompiers sont rentrés. Plus de la moitié sont malades intoxiqués , personnellement je suis étonné, j’ai tenu le coup. Monsieur Carquin après son arrivée, il faut lui faire des piqûres. L’on a peur qu’il ne puisse revenir à lui, j’ai le cafard depuis ce spectacle et une grande envie de pleurer. Tout d’un coup ça éclate , ça dure un quart d’heure, puis je me sens soulagé, le soir nous sommes tous énervés , l’on a tellement bu de rhum. Je fais mon quart (le premier) de huit à dix, puis je me couche. J’ai beaucoup envie de dormir.

Dimanche 10 août 1944 :

J’ai très bien dormi, je n’ai pas fait de mauvais rêves comme je le pensais, dehors ça tape sans arrêt, personne n’a le droit de sortir de l’abri, il y a trop de danger, la journée se passe à raconter les évènements de la veille. À neuf heures je vais à la messe, la journée est très calme, je me couche de bonne heure, je suis de quart de quatre à six demain matin.

Lundi 11 septembre 1944 :

Je suis réveillé à quatre heures pour prendre mon quart, dehors ça tape sans arrêt, l’on a impression que tous les obus tombent à l’entrée de l’abri , à l’intérieur , tout est calme, tout le monde dort, je fais les cent pas, je tire mes deux heures en pensant à toute la petite famille, à six heures, je réveille mon remplaçant, puis je me recouche je dors très bien, je me réveille à neuf heures, les camarades me donnent mon déjeuner au lit puis je me lève. Dehors c’est impossible de sortir, ça n’arrête pas de taper. Plusieurs allemands arrivent du combat blessés, d’autres passent par le tunnel pour aller se ravitailler en munitions. Nous, nous restons toute la journée sans sortir, la vie devient monotone, la nuit je ne suis pas de quart, je me couche, il est onze heures moins le quart.

Mardi 12 septembre 1944 :

Le courant de la nuit est troublé par le passages des allemands. un groupe veut mettre le feu dans les voitures qui se trouvent dans le tunnel, et qui appartiennent aux pompiers, malgré tout, tout s’arrange, le matin je me lève vers huit heures, la journée est calme pour moi qui suis désigné de pompe, plus personne n’a le droit de sortir, le soir je suis désigné de quart de minuit à deux heures.

Mercredi 13 septembre 1944 :

Je n’ai pas eu beaucoup le temps de dormir, je prends mon quart à minuit. Celui-ci s’effectue normalement, plusieurs allemands arrivent blessés. A deux heures je me couche, j’ai très bien dormi. Le matin c’est calme complet. Au dehors, l’on profite pour prendre un peu d’air, l’on voit les maisons du boulevard du Thiers brûler, l’on fait un peu de nettoyage dans l’abri, le soir nous entendons les bruits des fusillades, et les explosions de grenades, je suis gêné depuis quelques jours, plusieurs boutons me viennent sur les mains, l’infirmier me dit que ça provient des conserves. Cette nuit, je ne suis pas de quart, je vais me coucher, il est 10h25, je pense que je vais bien dormir.

Jeudi 14 septembre 1944 :

La nuit s’est très bien passée, le matin je me lève vers neuf heures un quart, dehors ça tape avec violence. L’on s’impatiente à ne pas les voir venir. Je lave mon linge pendant la matinée, je suis ennuyé pour le mettre à sécher, l’on ne peut sortir tellement ça tape. L’on organise des jeux, les pompiers font des concours de belote et dominos , moi je bricole avec Desroches autour une moto. Malgré tout, l’on s’impatiente beaucoup à ne pas les voir venir. Ce soir je suis de quart de huit heures à dix heures, c’est agréable à faire, je me couche, il est 11h00, dehors l’on entend la bataille faire rage.

Vendredi 15 septembre 1944 :

Dehors la bataille continue à faire rage, il n’y a pas une minute entre chaque explosion. L’abri est tellement ébranlé que l’on a l’impression que l’on joue aux boules au-dessus de nos têtes, aussi la nuit, nous ne dormons pas beaucoup, le matin, je suis réveillé de bonne heure, nous déjeunons à 8h00. La journée se passe dans l’abri. Nous avons beau leur demander où sont les Américains, aucun ne nous répond affirmativement. À huit heures le soir la radio de Paris nous annonce la prise de Brest, pourtant ce n’est pas le cas. Dehors la bataille continue toujours. Cette nuit je ne suis pas de quart aussi j’ai l’impression que je vais bien dormir.

Samedi 16 septembre 1944 :

J’ai très bien dormi, aussi ce matin tout va bien, arriveront-ils aujourd’hui? Ils ne sont sûrement pas loin, le canon tonne moins, l’on entend distinctement le bruit de la mitrailleuse. A l’abri l’on commence moins à s’inquiéter les virus diminuent.

Adolphe Gautron – 1944.